Mon discours du 1er août à La Ferrière
Anne-Caroline Graber, députée au Grand Conseil bernois
Monsieur le Maire,
Mesdames et Messieurs les membres des autorités politiques,
Chers habitants et chères habitantes de La Ferrière,
Mesdames et Messieurs,
Chères participantes et chers participants à cette Fête nationale,
Un très grand merci aux autorités de la Commune de La Ferrière qui me donnent l’occasion de prendre part à la célébration de la fête nationale dans la commune la plus occidentale du Jura bernois et du canton de Berne.
J’ai toujours beaucoup apprécié le nom de votre magnifique village. J’aime le prononcer, l’entendre prononcer, l’écrire et le lire. Chaque fois que je me rends en Ligurie, ce qui arrive souvent, je traverse un tunnel autoroutier du nom de Ferriere entre Gênes et La Spezia. Cet endroit me fait immanquablement penser à votre localité, l’une des plus hautes et des plus ensoleillées du Jura bernois.
Je suis aussi liée affectivement à La Ferrière parce que mon grand-père paternel Emile et mon père Jean-Pierre, conseiller national, sont nés ici et y ont vécu. Ma grand-maman paternelle Heidi et mes arrière-grands-parents Emile et Marie ont aussi résidé en ces lieux exposés au soleil couchant.
La Ferrière présente des dimensions géographiques de grand intérêt.
Très banalement, La Ferrière se situe à 6°53’ de longitude, comme Peseux, La Tour-de-Peilz, Chamonix, Grasse dans les Alpes maritimes ou encore les faubourgs ouest de Cologne. Cela signifie qu’aux équinoxes du printemps le 21 mars et d’automne le 21 septembre, le soleil se lève et se couche théoriquement au même moment dans tous ces endroits. La Ferrière se trouve à 47°08´de latitude, comme Bienne, Einsiedeln, Vaduz, le Pornic au bord de l’Atlantique ou encore les faubourgs sud de Budapest. Cela veut dire qu’en ces lieux, les durées respectives du jour et de la nuit sont théoriquement les mêmes toute l’année et qu’elles croissent et décroissent au même rythme.
Mais surtout, La Ferrière est la seule localité du Jura bernois dont les eaux s’écoulent dans la Méditerranée et non pas dans la Mer du Nord. Cela évoque la douceur et peut vous apporter une consolation toute abstraite durant les mois d’hiver.
Si l’on considère cette fois la géopolitique, La Ferrière constitue le véritable point de convergence entre le Jura bernois, le canton de Neuchâtel et le canton du Jura. A défaut d’en être la capitale, La Ferrière constitue le centre de gravité, le centre géographique de l’Arc jurassien. Aujourd’hui déjà, les trois cantons collaborent étroitement dans le domaine de la formation. Chacun connaît la Haute École Pédagogique BEJUNE et la Haute École Arc. Nul doute que cet espace BEJUNE, certainement cher à vos cœurs, est appelé à se développer au cours des années à venir. La Ferrière est encore presque voisine de la France puisqu’elle n’est séparée de ce grand pays que de quelque 200 à 300 mètres, distance qu’un adepte de jogging franchit en une minute en accélérant un peu sa foulée.
Nous en sommes tous convaincus et nous le voyons bien : La Ferrière c’est important et c’est très beau.
Alors que le soir nous enveloppe de sa douce lumière, nous fêtons le 724ème anniversaire de la Confédération. Nous toutes et nous tous qui sommes réunis pour célébrer la fondation de notre pays venons d’horizons divers. Politiquement, les uns sont de droite, les autres de gauche, d’autres encore du centre. Il y a probablement parmi nous quelques partisans de l’adhésion de la Suisse à l’Union européenne et davantage d’opposants à notre complète intégration dans le Vieux-Continent. Il y a des personnes jeunes qui font de nombreux projets et d’autres, plus âgées, occupées à peaufiner leur bilan. Le 24 novembre 2013, certains parmi nous ont voté oui au processus visant à instituer un nouveau canton du Jura, d’autres non en plus grand nombre.
Nous sommes invités à réfléchir avec reconnaissance à cette harmonie entre l’unité et la diversité qui caractérise la Suisse mais aussi à une manière particulière et historiquement remarquable de concevoir et de vivre les relations entre les citoyens et l’Etat. Malgré nos différences, nous avons tous le désir de vivre en paix les uns avec les autres, nous voulons être solidaires, nous sommes attachés au même pays. Cette réalité incarne parfaitement ce que nous célébrons ce soir : l’unité dans la diversité ou la diversité dans l’unité.
Adhérer à des idées politiques, à des philosophies, à des conceptions religieuses diverses fonde ces pluralismes si caractéristiques de la démocratie helvétique et, plus généralement, de nos démocraties occidentales.
Quoi qu’en disent certains aujourd’hui, la diversité constitue un bienfait, une possibilité de s’enrichir et de progresser au contact de celles et ceux qui ne sont pas tout à fait comme nous, qui pensent différemment. La diversité de nos idées et de nos opinions ne fait d’ailleurs que s’ajouter à l’extraordinaire diversité des paysages de notre magnifique pays, à la diversité de nos cantons, des structures économiques de nos différentes régions, de nos mentalités collectives, de nos langues, de nos cultures, de nos traditions et même de nos tempéraments individuels. C’est l’addition de toutes ces diversités qui fait le fédéralisme de la Suisse, cette institution fondatrice du génie helvétique, cette spécificité dont de nombreux pays devraient ou auraient dû s’inspirer, dans un passé récent ou plus lointain, pour faire vivre dans une coexistence pacifique les différentes composantes de leur corps social. Respecter les différences aurait permis à l’ex-Yougoslavie d’éviter un bain de sang dans les années 1990.
Par nos attachements politiques, par nos préférences idéologiques, par nos différentes appartenances cantonales, nous représentons cette belle et riche diversité, cette chatoyante mosaïque qui fonde l’admirable singularité de notre pays. Si la diversité est une source d’enrichissement, elle représente de plus une des grandes conditions nécessaires à la pérennité de la démocratie libérale. Sans diversité, il n’y a pas et il n’y aura jamais de démocratie. C’est une vérité intangible. Dès lors, différents nous pouvons l’être, différents nous devons le demeurer pour que se perpétue notre démocratie qui est « le pire régime politique, excepté tous les autres » comme le disait si justement le grand et lucide résistant au nazisme et au communisme que fut l’inoubliable Winston Churchill.
L’Histoire, plus particulièrement celle du XXème siècle, montre que l’absence de pluralismes et de diversités conduit à la tyrannie de la société sur la personne et, dans le pire des cas, au totalitarisme. Les personnes haineuses de la diversité sont toujours et inévitablement pleines d’aversion à l’égard de la démocratie, comme en témoignent scandaleusement les terroristes islamistes.
Mais mes chers amis, sans contrepoids, la diversité et le pluralisme aboutissent à l’anarchie, à l’impossibilité de toute vie sociale harmonieuse. Le pluralisme mène à la désintégration du tissu social, à la brutalité des rapports de force, à l’insécurité et finalement à l’anarchie s’il n’est pas accompagné par un consensus suffisamment large et solide autour d’éléments tels que le régime politique, l’Etat de droit, les institutions, la renonciation à la violence dans la résolution des inévitables conflits, le respect des minorités mais aussi celui des légitimes décisions et de la culture de la majorité. Pour que la vie en commun soit possible et mieux encore gratifiante, il faut un accord sur ces grands principes fondamentaux, sur ce credo minimal. Comme le disait le grand politologue français Georges Burdeau, la vie sociale n’est possible que si les habitants d’un pays voient en l’Etat « un Pouvoir garant d’un ordre dont ils n’approuvent peut-être pas tous les éléments, mais dont globalement, ils ressentent la nécessité. » A l’aune de cette exigence, il est intolérable que des individus ou des groupes recourent à la violence pour affirmer leur différence, faire prévaloir leurs discutables intérêts, donner libre cours à leurs obscures pulsions ou imposer leur idéologie à l’ensemble de la société.
Nous avons besoin autant de la diversité que de l’unité. Transposées dans l’ordre politique suisse, l’intégration de ces deux valeurs se trouve à l’origine de la démocratie de concordance et du principe de la collégialité qui postulent que tous les grands partis de notre pays soient représentés au Conseil fédéral selon leur force politique mais, qu’en contrepartie, chaque membre du gouvernement parle au nom du collège et pas en son nom propre.
En ce début de 3ème millénaire, à la fois enthousiasmant par les perspectives qu’il offre et angoissant par les incertitudes qui le taraudent, souvenons-nous que la pérennité des véritables libertés individuelles et de la démocratie requiert la coexistence du pluralisme des idées et du consensus relativement aux normes fondamentales qui ont fait leur preuve.
Dans l’exact prolongement de cette incontournable réalité, la Fête nationale signifie que, par delà nos naturelles et légitimes divergences, nous formons une communauté de destin, et – quoi qu’en en disent les partisans d’une mondialisation débridée – une nation dont les membres sont unis par un nécessaire lien social et par le respect de valeurs fondamentales communes.
Chères concitoyennes et chers concitoyens,
En comparaison internationale, notre pays se porte très bien ; il bénéficie d’un niveau de vie élevé. Depuis 1848, date la fondation de la Suisse moderne, nous avons été épargnés par les grandes guerres et par les catastrophes naturelles retentissantes.
Tous les grands indicateurs montrent que la situation économique de la Suisse est plus enviable que celle des pays de l’UE. Le taux de chômage atteint plus de 10 % au sein de l’UE et seulement un peu plus de 3 % chez nous. Notre monnaie est solide au point de pénaliser nos exportations. Notre inflation est très basse. Notre croissance est supérieure à celle de la plupart des pays européens, notre dette publique largement inférieure aux leurs. L’économie suisse figure parmi les plus compétitives du monde, notre pouvoir d’achat parmi les plus élevés. Cette situation remarquable est due à la qualité et à la quantité de notre travail collectif ainsi qu’à nos bonnes conditions cadre.
Malgré ces bienfaits incontestables, nous sommes inquiets. Les incertitudes bien réelles du monde contemporain taraudent nos esprits. De manière très compréhensible, nous aspirons à plus de sécurité. Souvent, demain nous fait davantage peur qu’il n’annonce un avenir radieux. Retrouvons au moins une partie de notre sérénité individuelle et collective en pensant aux magnifiques caractéristiques de notre pays, à notre vieille démocratie, à nos libertés et aux conditions qui ont permis leur éclosion et leur pérennité, à la solidarité qui nous a permis de maintenir jusqu’à ce jour et, vaille que vaille, la cohésion nationale et la cohésion sociale. Songeons aussi aux bienfaits que nous apporte une neutralité qui n’est pas indifférence aux misères du monde. Souvenons-nous que l’initiative et le referendum, les deux grands instruments de la démocratie semi-directe, nous confèrent des droits de participation aux décisions politiques que l’on ne retrouve nulle part ailleurs en ce monde. Soyons conscients que notre prospérité est avant tout imputable à la créativité, aux capacités d’organisation et à la persévérance de nos entrepreneurs ainsi qu’aux remarquables aptitudes professionnelles et au sérieux des travailleurs de ce pays. Préservons à la fois la responsabilité individuelle de chaque personne et la nécessaire solidarité à l’égard des plus défavorisés. Et surtout, souvenons-nous de la foi de nos ancêtres en Dieu, de cette espérance vivante qui permet d’avancer même si le contexte est difficile et les incertitudes omniprésentes. Si nous sommes conscients de tous ces atouts et si nous avons la volonté de les conserver, nous pourrons affronter l’avenir avec assurance.
Ayons confiance dans les valeurs qui se trouvent à l’origine de l’aventure helvétique, dans les ressources de notre pays et dans les talents qui nous ont été donnés pour l’utilité commune.
Je vous souhaite à toutes et à tous beaucoup de succès et de bonheur dans vos vies personnelles ! Longue vie à chacune et à chacun !
Vive La Ferrière et vive la Suisse !